À un moment donné, parce qu’enfin elle ose se lancer, ou parce qu’elle est intimement convaincue du bienfait de sa présence auprès des couples, ou parce que dans sa région, rien ne bouge (ou parce que les trois), la doula peut être saisie de cette préoccupation obsessionnelle, à la limite de l’obsession préoccupante : se faire connaître. Que chaque femme, chaque couple, chaque famille en train de s’agrandir sache que la doula existe. Elle, bien sûr, mais aussi les autres. Qu’elles sont de plus en plus nombreuses, qu’elles sont magiques, qu’elles peuvent faire la différence et offrir quelque chose de précieux. À condition qu’on les appelle.
Et la doula a beau tourner le truc dans tous les sens, elle en arrive toujours à la même conclusion : peu importent ses multiples formations, sa bienveillance et son positionnement au top, si personne ne sait qu’elle existe, elle est inutile. Il faut savoir que la doula inutile dépérit rapidement, ou compense en consommant de façon compulsive livres sur la grossesse, écharpes de portage, chocolat et/ou mojitos.
Bref, la doula a la chance d’avoir un métier passionnant, et elle a envie de le pratiquer. Normal. Donc, se faire connaître. Mais comment ? Cheminement d’une doula lambda*…
Planquée derrière son écran, notre doulette se demande comment faire savoir à la terre entière qu’elle existe, sans s’attirer les regards incompréhensifs de la voisine. Communiquer sur son activité, oui, mais passer pour une baba-cool perchée, non merci… Facebook lui tend les bras ! La machine est lancée, elle va enfin communiquer ! Elle se crée un compte doulesque, et même une page doulesque, c’est pas si difficile, finalement. Elle invite ses contacts bienveillants à être ses ami.e.s (en évitant donc soigneusement sa voisine). Elle leur propose ensuite de liker sa page. Youhou, au bout de quelques mois, sur 572 ami.e.s patiemment accumulé.e.s, 32 ont déjà accepté ! Les autres suivront. Elle partage les nombreux articles passionnants qu’elle lit autour de la grossesse, la naissance, la parentalité, pour “faire vivre” sa page. Elle va jusqu’à créer un site web. Ça lui prend des milliards d’heures, mais quand on aime, on ne compte pas. Elle choisit soigneusement des mots-clés qui lui permettront d’être bien référencée. Elle fait un “partage de liens” avec des amies doulas, pour augmenter sa visibilité.
Et ça marche ! Facebook lui propose toujours plus de contacts “pertinents” : des doulas partout en France (et dans le monde !), des assos de soutien à la parentalité, des personnes engagées dans l’AAD, la physio, l’allaitement, des auteur.e.s de super livres. Son réseau croît de façon exponentielle, c’est magique ! Après moultes relances, la plupart de ses ami.e.s aiment sa page. Les autres, ça viendra. Elle partage très régulièrement des articles intéressants, mais c’est vrai qu’elle s’épuise un peu, elle est dans autre chose, un accompagnement, justement ! Une jeune femme qui a trouvé ses coordonnées grâce à l’annuaire de Doulas de France. Absorbée par son activité et la disponibilité nécessaire, elle a complètement délaissé sa page, alors qu’elle aurait pu justement communiquer à fond ! Dire qu’elle partait à un rendez-vous, partager son bonheur d’être auprès de ce couple… Depuis le temps qu’elle attendait ça ! Et c’est ce que font beaucoup d’autres doulas, celles qui assurent niveau com’… Mais elle n’a pas eu le réflexe… Et la réaction de Facebook ne s’est pas faite attendre : “vous n’avez pas publié sur cette page depuis 34 jours” “blablabla” “faites vivre votre page blabla” “le monde entier va se désintéresser de vous”. OMG, c’est ça, elle a oublié de faire vivre sa page… Comment a-t-elle pu ? Et ce travail de fourmi fait pendant des mois, ces heures à essayer de décoder les modalités de réglages des différents paramètres… Réduits à néant par sa négligence, son inconséquence, son manque de professionnalisme… Sous le choc, elle ne voit pas le chantage affectif, et re-partage compulsivement pour la millième fois le lien vers son site, un superbe article sur l’allaitement, une vidéo de naissance dans l’eau, un visuel sur les risque du déclenchement. Pas grand-monde ne les “aime”, c’était pas la bonne heure. Pfff, quand va-t-elle se mettre à réfléchir avant de poster ? Décidément elle rate tout ! Et Facebook enfonce le couteau dans la plaie : “votre publication est moins efficace que 90% de vos publications” “vos concurrents font comme ci et comme ça” “pour booster vos publications, blablabla”…
C’est tellement frustrant ! Elle n’y arrivera donc jamais !
Zen jolie doulette, faisons un pas de côté, et un petit bilan.
Tu as passé 5h par jour pendant 3 mois à réaliser ton site web (on est pas tous webmaster…). En retour, tu as eu 3 appels d’hommes voulant savoir si tu faisais les massages énergisants (WTF ?). Bon. Ta frustration est légitime. Tu passes 3h30 par jour sur Facebook tous les jours (ton côté doula-geek…) : “oui, mais c’est aussi un temps de détente, de plaisir, etc”. Ok, tu passes 47 minutes tous les jours sur Facebook à réfléchir à quels liens partager sur ta page ou pas et à regarder qui a vu tes publis (on ne va pas se mentir, que celle qui ne le fait pas te jette la première pierre). Ça paraît beaucoup, mais faites le compte si vous voulez… En retour, tu as eu un accompagnement (amie d’amie).
Non, ne jette pas ton ordinateur par la fenêtre, pas tout de suite !
Tu as passé un temps indécent à réaliser ton site web, et tu as choisi tes mots-clés avec amour pour qu’il soit bien référencé, tu te rappelles ? Et bien grâce à toi, et à toutes les autres, qui, comme toi, ont semé des graines sur la toile, des femmes et des couples ont plus de chance de trouver des infos, des ressources, et peut-être, leur doula. Tu passes un temps inavouable tous les jours sur les réseaux sociaux. Et bien en interagissant au moins une fois par jour sur un groupe ou une page avec des parents ou jeunes parents ou autres professionnels en arborant ta casquette doula, tu as permis à au moins 12 personnes par jour de lire le mot doula / d’en savoir plus sur les doulas / d’avoir envie d’en savoir plus sur les doulas. En encourageant tes ami.e.s à partager ta page, tu as permis à des personnes de tous horizons de découvrir l’existence et les bienfaits des doulas. En publiant des articles en lien avec le respect de la femme, du bébé, de la physio, tu as permis à de nombreux parents de trouver des infos pertinentes. Le “bénéfice” pour l’ensemble des doulas, des parents, de la société (n’ayons pas peur des mots) est incalculable. Tu n’as pas assuré ces dernières semaines. Enfin, ça c’est ce que Facebook essaie de te faire croire. En réalité, tu as accompagné un couple, tu as donné de l’écoute, de la bienveillance, de l’empathie, sans compter, tu t’es absentée de chez toi longtemps et en soirée, tu t’es dépatouillée pour que le quotidien de tes gosses en soit le moins impacté possible, tu as mis en place des temps d’écoute avec eux aussi pour amortir le truc. Mais c’est vrai que tu n’as pas mis beaucoup d’énergie dans ta com’. Au fait, c’était quoi le truc qui te faisait vibrer ? Accompagner la naissance ou devenir une pro de la com’ en réseau ?
Si tu te demandes où je veux en venir, je te rassure, je n’en ai aucune idée. Je n’ai aucune réponse.
Par contre, je peux te dire que de son côté, notre doulette va mieux. Elle s’est rappelé qu’une des règles de base de la doula s’appliquait à la perfection aux réseaux sociaux : ne pas avoir d’attentes… Oui au virtuel, aux réseaux, à l’intimité offerte aux femmes derrière leurs écrans. Attention à ne pas s’y perdre, à ne rien en attendre pour sa propre activité, ou pas grand-chose. Oui aux échanges où on est doula, où on écoute, où on rassure, où on raconte, où on explique notre job aussi, parce que quelqu’un en a besoin en face. Attention à ne pas se faire croire à soi-même qu’on est en train de faire sa com’. Ce n’est pas le cas, et ça ne devrait pas l’être. Oui pour oeuvrer par l’intermédiaire de ces merveilleux moyens de communication à la reconnaissance du métier de doula. Sans attentes. Oui pour se faire plaisir. Attention au chantage affectif.
Parfois la com’ de réseau frôle le vase clos, à t’en faire oublier que les parents que tu pourrais accompagner habitent dans ta rue. Mais qu’ils ne font probablement pas partie du groupe d’échange sur l’accouchement à domicile. Quand tu as 872 likes et que tes amies doulas / masseuses / mamans / allaitantes / militantes trouvent génial ce que tu fais mais que personne dans ta ville ne sait que tu existes, c’est le moment de revenir à l’essence de ton métier, à ce que pour quoi tu l’as choisi : la proximité, le contact, l’intensité des regards, l’ocytocine ! Maintenant, si tu veux, c’est le moment de balancer ton ordinateur par la fenêtre (ou juste de faire la part des choses).
À suivre : prochain article sur la com’ de rue… 😉
*Bravo pour votre perspicacité, la doula lambda n’existe pas, pas plus que le bébé lambda ou la mère lambda. Je plaide coupable…