On en dit, des choses, aux futures mères… On leur dit qu’elles sont belles, souvent, qu’elles ont un beau ventre, on les félicite… On leur demande, parfois, si c’est pas des jumeaux, on leur demande si c’est pas trop dur, pas trop lourd… On leur dit qu’elles ont de la chance, et puis de profiter… On leur dit « moi, quand j’étais enceinte… » et on leur placarde dessus une vieille nostalgie qui leur appartient pas…
On leur demande où elles vont accoucher, si elles vont allaiter, si elles savent le sexe. On leur recommande un pédiatre, et presque une école maternelle. On leur demande si elles vont prendre un congé parental, ou si elles ont choisi une nounou. On leur dit que c’est tellement beau, que ça passe tellement vite. On leur balance des conseils non-sollicités, des jugements à l’emporte-pièce. On leur dit de laisser pleurer. Ou de ne pas laisser pleurer. On leur conseille des bouquins géniaux. Ou des pourris (chacun ses goûts). On leur dit que c’est une période magique, qu’il faut profiter, « moi, quand j’ai eu mon bébé… ».
On leur dit des trucs rose bonbon, c'est ça la couleur de la maternité, non ?
Devant les futures mères, chacun replonge dans ses expériences ou dans ses fantasmes. Ressort les images d’Épinal. Pense aux petits pieds, aux petits pyjamas, au bébé dormant comme un bienheureux. Raconte le bonheur, l’ocytocine, l’odeur incomparable de la nuque. Les souvenirs radoucis par le prisme des années, et par l’imaginaire.
Mais qui leur dit la vérité ?
Qui leur dit la vérité rouge sang ?
Que l’accouchement est sexuel, qu’elles sont pas obligées d’avoir mal. Que peut-être ce sera intense et transcendant, orgasmique. Que peut-être ça balaiera toutes leurs croyances en même temps que leur identité. Que peut-être ça les clouera au sol pendant des heures. Que peut-être elles auront l’impression de crever. Que peut-être les techniques apprises en cours de prépa ne serviront à rien. Ou au contraire, que le yoga, l’haptonomie ou l’eau chaude les sauvera. Qu’il y aura du sang, qu’il y aura des fluides, qu’elles seront mammifères pour quelques heures, le cerveau reptilien aux commandes. Que le mental n’y connaît rien, mais que le corps sait tout.
Qui leur dit la vérité orange flamme ?
Que parfois elles vont craquer, se sentir submergées d’impuissance et de colère devant des remarques déplacées, devant des commentaires ou des regards réprobateurs. Que parfois ça va bouillonner dans leur ventre et dans leur tête parce que personne ne les écoute, parce que personne ne les comprend, parce qu’elles donnent leur maximum et que personne au monde ne semble en prendre la mesure. Que parfois même leur bébé qu’elles aiment d’amour fou va les rendre dingue par ses pleurs incompréhensibles, ses chagrins incompressibles et démesurés. Que parfois elles vont péter les plombs, mais que ce sera ok, parce que les mères en ont le droit, dans la vraie vie.
Qui leur dit la vérité jaune soleil ?
Que le contenu des couches de leur bébé sera une de leurs sources de joie. Jaune d’or, jaune moutarde, ah, attention, vert caca d’oie ! Que lesdites couches fuiront toujours sur leurs vêtements blancs, de préférence hors de la maison. Et que pour faire partir tout ça il faudra étendre les fringues encore tâchées au soleil à la vue de tout le quartier. Que d’ailleurs, au bout de quelques mois, les « tâches propres » seront considérées comme acceptables sur presque tous les habits de bébé. Et parfois des parents. Que c’est pas grave, parce que les histoires de pipi-caca, ça va être leur quotidien pendant au moins 5 ans. Que leur tolérance et leur perception des odeurs « suspectes » seront totalement chamboulées. Question de survie.
Qui leur dit la vérité vert espoir ?
Qu’elles vont réussir à s’accrocher comme jamais elles ne s’en seraient cru capables, à cet allaitement qui leur tient tant à cœur, au fragile équilibre de leur famille en chantier, à leur amour inconditionnel. Qu’elles vont prier comme des damnées pour que la lame de plancher ne craque pas quand elles sortiront de la la chambre de l’enfant endormi. Qu’elles vont devenir superstitieuses et se faire croire comme des gosses que si elles arrivent jusqu’à la cuisine sans qu’il se réveille, c’est parti pour 2h de sieste. Ou que leur bébé n’a jamais mal au ventre quand elles lui mettent son pyjama vert. Que l’espérance d’une nuit de sommeil, de quelques heures de calme, d’un repas avec les deux mains libres, sera la drogue qui les fera tenir des années.
Qui leur dit la vérité bleue tristesse ?
Qu’après la naissance, pour certaines les hormones chuteront tellement fort qu’elles les emmèneront sous terre avec elles. Qu’un ventre plein, c’est parfois dur à vivre, mais qu’un ventre vide sera peut-être pire. Qu’elles se sentiront seules, parfois, même auprès de leur bébé tant attendu, même entourées de leurs proches attentionnés. Que le « baby blues » est physiologique, mais qu’il ne dépasse pas les 10 premiers jours. Et que si ça dure, il faudra en parler sans honte, parce qu’elles ne seront ni les premières ni les dernières à traverser ça.
Qui leur dit la vérité violet violence ?
Que les blouses blanches ne sont pas toutes si blanches que ça. Que l’épisiotomie est une mutilation sexuelle socialement codifiée. Et que ça cicatrise pas toujours comme dans le bouquin. Que le point du mari existe aussi. Que les forceps ne sont pas une fatalité. Qu’elles ont le choix, et le droit de ne pas être considérées comme des bouts de chair expulsant un bout de chair. Que l’accouchement ne dure qu’une journée, mais qu’il peut être traumatique toute une vie. Que parfois il faut se battre pour être respectée, mais que ça vaut le coup. Que l’expression abdominale est proscrite depuis des lustres. Que le chantage à la césarienne mérite des coups de pieds dans les dents. Que l’hystérie a été inventée par le patriarcat, et qu’elles n’ouvriront jamais assez leur gueule pour se défendre de la maltraitance.
Qui leur dit la vérité blanche de lait ?
Que le colostrum sera produit en toutes petites quantités. Que leur bébé ne mourra pas de faim en attendant la montée de lait. Qu’ensuite ça pourra arriver comme un raz-de-marée. Qu’elles auront l’impression que leur corps ne supportera jamais ça. Mais qu’il supportera. Que les tranchées pourront faire mal. Que l’allaitement, c’est merveilleux, mais c’est un temps plein et demi. Que le mignon « lait caillé » régurgité sent le vomi au bout d’une heure. Que les bébés, nourris par perf’ de cordon pendant 9 mois, s’attendent à un contact quasi-continu avec le sein. Qu’on ne sait pas toujours quand une tétée s’arrête et quand l’autre commence. Que regarder sa montre, c’est creuser son angoisse. Qu’un bébé tète quand il a faim, soif, sommeil, chaud, froid, et même quand il ne sait pas ce qu’il a. Que la recette miracle n’est pas dans les livres, même pas dans les bons, parce que leur bébé à elle n’était pas encore né quand le livre a été écrit.
Qui leur dira toutes les autres vérités multicolores ?
Qu’une fois habituée à ne plus balayer, c’est ok de marcher sur un sol croustillant. Qu’à un moment on s’en tape de porter des pantalons qu’on peut plus boutonner. Pourvu que ce ne soit pas des « pantalons de grossesse ». Que tous les records de « douche la plus rapide mais efficace » ont été battus par des jeunes mamans. Que c’est pas parce qu’on a désespérément besoin de son corps juste pour soi quelques heures dans la journée qu’on est une mauvaise mère. Que c’est pas parce qu’on comprend rien aux signaux subtils de son bébé qu’on est incompétente. Que les années sont courtes mais que les journées sont longues.
Mais pourquoi leur dire ça ? C’est si beau, la maternité, c’est la plus belle chose au monde, non ? Et toi qui est doula, qui aime les bébés, les accouchements, les allaitements, l’ocytocine, pourquoi leur dire des choses moches ?
Je ne parle pas de dire des choses moches ; je parle de dire des choses vraies.
Bien sûr que la naissance d’un enfant, c’est magique et merveilleux. C’est aussi sexuel, puissant, épuisant, intense, violent. Bien sûr que l’accouchement peut bien se passer. Il peut aussi être l’occasion de maltraitance, de souffrance, de mal-être, de traumatisme. Bien sûr que l’allaitement c’est naturel et qu’on est toutes faites pour ça. C’est aussi déroutant, parfois difficile, parfois douloureux, souvent très prenant, jamais très reposant. Bien sûr que vivre les premiers jours / semaines / mois de son enfant, c’est extrêmement précieux. C’est aussi compliqué, fatigant, questionnant. Bien sûr que c’est normal de galérer à faire partir les tâches de selles jaune fluo de ses fringues et de lâcher-prise sur la propreté jusqu’à avoir une maison post-apocalyptique. C’est normal, mais c’est dur.
La maternité est magnifique, mais elle n’est pas rose bonbon. Elle est aussi rouge sang, orange flamme, jaune soleil, vert espoir, bleue tristesse, violet violence, blanc laiteux, gris poussière. Et c’est justement comme ça qu’elle est belle.
Peut-être que vous n’avez pas connu toutes ces couleurs. Chaque expérience est différente. Mais ces couleurs existent, et toutes les autres aussi. Alors dites-le aux futures mères !