Souvent, en fin d’année, décembre arrive avec une petite tendance à l’introspection. Je sais pas vous, mais moi je repense à des trucs. Les loupés, de préférence. Je me repasse des films à l’envers, avec des « si ». Parfois, c’est profitable, et souvent, c’est complètement stérile. Cette année, j’ai beaucoup pensé aux naissances de mes filles. La deuxième, surtout. C’est pas cool, pour un bébé, tout ce stress, la césa en urgence, se retrouver loin de sa maman qu’on recoud pendant une éternité. C’est pas cool, pour une maman, de subir ce geste, et les autres avant, alors qu’elle s’est préparée à de la physio avec toutes ses tripes. Bien sûr, c’est vieux, c’est passé, chacun a fait de son mieux, moi, ma fille, le papa, ma doula, l’équipe médicale. Mais si… Si je m’étais sentie plus à l’aise avec cette SF AAD que j’avais rencontrée, assez à l’aise pour tenter l’aventure avec elle ? Si j’avais connu cette autre, rencontrée des années plus tard ? Si mon compagnon avait pu adhérer à cette idée ? Si on avait fait une petite pause sur le trajet de la maternité pour faire descendre la pression et le bébé ? Si j’avais pris le temps de lui parler avec le cœur en arrivant avant que la panique de la souffrance fœtale vienne tout foutre en l’air ? Avec des si… On tourne longtemps en rond autour de notre verre à moitié vide.
Aujourd’hui, le chien (enfin, techniquement c’est celui de mon cher et tendre, mais, pour des raisons diplomatiques, appelons-le « le” chien) est resté seul dans la maison pendant une petite heure. En proie à une crise aiguë de manque de nous ou à un moment de folie passagère, il a réduit en miettes mon chapeau, un panier de rangement en tissu ET le dernier livre d’Amma qui m’avait été offert récemment. Il a bouffé un livre. Il l’a déchiqueté. Un livre d’Amma. Il y avait des lambeaux de morceaux de sagesse partout, au milieu de bouts de chapeau et de panier, éparpillés dans toute la pièce. J’ai cru que j’allais chialer. Bon, après j’ai regardé le sapin de Noël, intact, et je me suis dit qu’un 23 décembre, il valait mieux que je pleure pour un livre plutôt que mes filles pour leurs décos de Noël à paillettes. Mais quand même, j’étais triste et en colère et impuissante, pfff, impossible de m’en remettre. Et si j’avais rangé ce livre dans la bibliothèque au lieu de le laisser sur le meuble de l’entrée ? Et si on était revenus 10 minutes avant ? Et si on avait plutôt pris un caniche ? Vous voyez le genre.
Bien plus tard dans la journée, j’ai pensé à certains de mes cadeaux de Noël qui attendaient encore de trouver de jolis emballages recyclés. Et j’ai eu un flash : finalement, les quelques pages presque épargnées que j’avais pu récupérer allaient peut-être trouver une deuxième vie. Une chouette façon de permettre à certains de ces textes inspirants de voyager jusqu’à d’autres lecteurs. Youpi ! Quelle beau dénouement, inattendu ! Joie du verre à moitié plein. Je détestais toujours autant le chien (et ses grands yeux pleins d’amour et de culpabilité n’y changeraient rien !), mais d’un grand mal était sorti un grand bien. Bon, ok : d’un « petit désagrément » était sortie une « petite satisfaction ». Et c’est cet événement anodin qui m’a permis de remettre à sa place le reste : si on pouvait transformer le plomb en or par le regard qu’on lui porte ? Certains ont bien changé de l’eau en vin (c’est de saison).
À l’heure des bilans, et avant d’attaquer une nouvelle année, un nouveau cycle, si on prenait plaisir à regarder nos verres à moitié pleins ? De mon côté, ça pourrait être ce deuxième accouchement, justement… Ça ne voudrait pas dire que je serais toute contente avec mon utérus cicatriciel. Ça ne voudrait pas dire que cet arrachement et ces interminables minutes séparées n’ont pas compté, pour ma fille comme pour moi. Ça ne voudrait pas dire que je peux oublier. Ça serait juste accepter un peu plus le difficile qui fait partie de mon histoire et considérer le positif qu’il m’a apporté. Parce qu’il y en a. Pour une autre mère, ça pourrait être une séparation plus subie que choisie, les semaines sans ses gosses, la frustration, la sensation d’échec… Qui peut-être avec le temps et un peu de magie de Noël pourrait se transformer en bonheur d’une nouvelle relation ou d’un bien-être inespéré avec soi-même, d’un bel équilibre retrouvé. Pour un autre encore, un deuil à faire qui ne se fait pas, un manque persistant, une absence… Et peut-être qu’à force de pleurer son disparu, il pourrait enfin voir les vivants encore plus fort. Pour d’autres, des difficultés de communication avec leur enfant, des montagnes à franchir, une relation si questionnante… Mais peut-être qu’à travers les conflits et les incompréhensions, ils ont appris plus sur eux-mêmes et leur enfant qu’ils n’auraient jamais pu en savoir avec des sourires.
Je ne peux pas croire que « ce qui ne tue pas rend plus fort », non, vraiment pas. Je ne crois pas non plus que toutes les expériences négatives puissent être transformées en positif d’un coup de baguette magique. Il y a des verres vides-vides, selon la sensibilité de chacun, ou à l’unanimité. Et ça ne se discute pas.
Mais.
C’est la fin de l’année.
La dernière pleine lune devait nous permettre de nettoyer un peu du côté de notre passé (bon, j’ai zappé, j’ai dormi, mais peut-être qu’elle a bossé sans moi).
On va changer d’année, accrocher dans la cuisine un calendrier tout neuf (youpi, on a celui de la Poste avec les bébés animaux).
C’est l’occasion ou jamais.
Les verres vides sont vides, pleurons ce qu’on a à pleurer, encore et encore, accueillons, pas de jugement, il paraît que le temps guérit tout, mais parfois il n’est pas pressé, ou alors c’est incurable.
Mais.
Les verres à moitié vides sont à moitié pleins. Sourions à tout ce qui nous a souri, pourrait nous sourire et nous sourira. Trinquons à toutes les réussites collatérales de nos loupés monumentaux !
À la vôtre !