Y’a des trucs qu’on a du mal à expliquer. Par exemple : la vie, l’amour, les tentes rouges.
Il y a quelques temps, j’ai essayé d’expliquer les tentes rouges à une thérapeute. Elle pensait analyse. J’ai dit les femmes, le cadre sécure, la libération de la parole, la force de l’écoute bienveillante d’un groupe, la puissance des résonances. Elle a questionné l’absence du regard professionnel de la psychologue, de la sachante, de la personne « au-dessus » des autres de part un diplôme ou une formation.
Hier soir, j’ai essayé d’expliquer les tentes rouges à ma belle-mère. Elle pensait transmission d’informations rationnelles et immuables. J’ai dit le partage d’expériences, les mots apportés par chacune, les maux allégés d’avoir été parlés, les questions non-résolues et pourtant toujours transformées, transcendées. Elle a questionné la pertinence de l’introspection, « et si certaines disent des conneries, toi tu fais quoi ? ». Verticalité, toujours.
On ne dit jamais de « conneries » en partant de soi. On ne dit que sa vérité. Ta vérité n’est pas la mienne. Et pourtant, parfois, elle aide la mienne à prendre corps, à se définir, à se délimiter. Ta vérité t’appartient, et en reconnaissant sa légitimité, j’autorise la mienne à exister.
Tout le monde dit « les réponses sont en vous », « vous seul.e.s pouvez choisir la direction à donner à votre vie », « la connaissance de soi », blablabla… Mais la pensée verticale est partout.
« Les réponses sont en vous », et un pro vous les signalera. « Vous seul.e.s pouvez choisir la direction à donner à votre vie » après avoir suivi les conseils avisés d’un.e coach ou d’un.e thérapeute. « La connaissance de soi », c’est la clé, voici comment y parvenir.
« La grossesse n’est pas une maladie », juste une période de votre vie que vous passerez sous haute surveillance médicale, avec prises de sang mensuelles, analyses d’urines, compléments alimentaires, infantilisation et remise en question de votre autonomie (la législation française reconnaît « l’état de vulnérabilité » de la femme enceinte, c’est un détail intéressant à connaître, je vous invite à creuser cette question et tout ce qu’elle implique…). « Les femmes savent accoucher par elles-mêmes » sous haute surveillance médicale dans une salle aseptisée saucissonnées à un monito avec un toucher vaginal toutes les heures et si ça bouge pas assez vite on dégaine le synto / les ventouses / la césa. « Les parents savent ce qui est le mieux pour leur bébé » et sont libres de leurs choix tant que ceux-ci sont validés par un pédiatre.
Dans le « développement personnel », de la verticalité. Dans la grossesse, la naissance, la parentalité, de la verticalité. Dans notre relation au monde et aux autres, dans notre société hiérarchisée et patriarcale, de la verticalité.
Est-ce qu’on a besoin, parfois, de cette relation sachant-apprenant, soignant-soigné ? Est-ce qu’on a besoin, parfois, qu’on nous prenne en main, qu’on nous prenne en charge, qu’on nous indique le chemin ? Oui, probablement. Ce type d’échanges existe, on y a facilement accès, on y a (de plus en plus) facilement recours, et c’est bien. Les bouquins, les thérapeutes, les professionnels de santé ont toute leur place et leur légitimité. Mais on a besoin aussi, en premier de l’écoute et du soutien de ses pairs.
Et si, pour s’affranchir des protocoles, de la sur-médicalisation, de l’infantilisation, pour reprendre le pouvoir sur son corps et sur ses choix pendant la grossesse, la naissance, et la suite, il fallait commencer par se réapproprier cette libre circulation de la parole ? Si tout partait de là ? La tente rouge, c’est plus qu’un cercle de femmes, c’est une vision du monde. Alors, forcément, comme la vie et l’amour, c’est difficile à expliquer.
Laisser chacune reprendre sa juste place, celle qui parle fort et facilement, celle qui pleure et qui cherche sa direction dans une parole encore balbutiante, empêtrée d’émotions, celle qui facilite, celle qui amène du rire, celle qui fait sauter les barrières, celle qui chuchote, celle qui sourit, celle qui ouvre des horizons. Laisser les choses se poser et se reposer, oser s’exprimer, s’affirmer, se faire confiance, engranger de la confiante. Pas de sachant.e, pas de thérapeute, pas de parole d’évangile, pas de conseil, pas de jugement, pas de verticalité. Juste une parole horizontalement accueillie et respectée.
J’ai vécu ça hier soir. C’était précieux, intense, puissant, fragile, magique. Et comme la vie et l’amour, ça s’explique pas.