Avant, disons jusqu’à la naissance de ma première fille, et encore sûrement un peu après, j’étais une bombe. “Hey, mad’moisel’, t’es une vraie bombe…” Nan, aucun rapport. Je ne vais pas parler du harcèlement de rue. J’étais une vraie bombe à retardement. Une femme avec un utérus, quoi.
Je me rappelle, une fois, quand j’étais ado, mon père râlait parce que j’étais pas allée en cours. Ma mère a répondu en chuchotant que j’avais mes règles et il s’est tout de suite mis à chuchoter aussi. Waouh, c’était si effrayant que ça ? J’étais donc si dangereuse – pour moi-même et les autres ?
Ensuite, j’ai eu mes premiers rapports sexuels, et j’ai rapidement consulté un gynécologue, qui m’a prescrit la pilule pour me permettre d’échapper à ce phénomène encore plus effrayant que les règles : la grossesse non-désirée. Pour échapper à la grossesse non-désirée, il fallait se soumettre tous les 9 mois environ (ironie ?) à un check-up complet de tous mes organes sexuels féminins, dangereux par nature. On m’avait dit que c’était primordial pour vérifier que “tout allait bien”. On sait jamais avec ces corps de femmes, hein. T’as 20 ans, t’es en forme, tu crois que tout va bien pour toi, et en fait ton vagin est en train de s’autodétruire. L’angoisse. Et oui, car, à 20 ans, je n’avais aucune, mais alors aucune idée de ce que les gynécos (oui, “les”, ils ne me plaisaient jamais, donc je changeais tout le temps) pouvaient bien rechercher au fond de mon vagin. Mais bon, méfiance, quoi.
Quelques années plus tard, mon compagnon et moi avons souhaité avoir un enfant. La logique me poussait à arrêter la pilule, ce que je fis. Il m’a aussi semblé opportun de “tester” une gynéco dans la ville où j’habitais (simple logique également, ça faisait déjà presque 10 ans que je testais des gynécos…), dans la perspective d’un futur suivi de grossesse.
“Qu’est-ce que qui vous amène?
– J’aimerais tomber enceinte, donc je voulais faire le point avec vous pour savoir comment préparer cela au mieux (FAUX, je voulais savoir à quoi elle ressemblait dans l’éventualité de lui confier la lourde tâche de checker mes organes les plus dangereux pendant sûrement la période la plus dangereuse de leur existence)
– Mais vous n’avez plus de moyen de contraception ??? (en criant presque)
– Heu, bah, non, pour tomber enceinte…
– Aaaaahhhhh, mais c’est pas possible de faire comme ça !!! Vous ne vous rendez pas compte ! Vous avez fait une analyse de sang ? Et les carences ? Et si vos vaccins n’étaient pas à jour ? Et la rubéole ? Vous êtes vraiment SÛRE d’être immunisée ? Il faut reprendre la pilule immédiatement, hein, on ne peut pas faire les choses comme ça !”
Je suis repartie, abasourdie, avec une ordonnance pour une pilule.
J’étais partagée entre le “elle se ficherait pas un peu de moi, à crier comme ça parce que j’ai voulu faire un bébé sans lui demander la permission ?” et le “oh la la, cocotte, tu mets le doigt dans un truc de ouf, là, je sais pas si tu as bien pris la mesure des choses…”
Et puis, bonheur, cette grossesse est arrivée. Passée la première euphorie des 2 barres roses, je me suis vite rappelée que mes organes reproducteurs, sous haute surveillance depuis déjà longtemps, devenaient encore plus dangereux (ils pouvaient maintenant s’autodétruire AVEC un bébé dedans). Hop hop hop, cette fois j’avais décidé d’aller voir directement un gynéco de la maternité. Et ça ne serait pas un test, c’était du sérieux maintenant : peu importait, au final c’était toujours la même histoire désagréable.
Waouh, maintenant que j’étais enceinte, le danger tapis au creux de mon vagin s’était immiscé dans mon corps tout entier ! Ce que je mangeais était potentiellement toxique, les quantités devaient être sous contrôle, mon poids était une affaire d’état, mon taux de fer, ma glycémie, même mon urine était sous étroite surveillance. C’est simple, tout ce qui entrait ou sortait de mon corps semblait pouvoir compromettre le processus tout entier et provoquer le drame. D’ailleurs, le drame était permanent. Tous les mois on me suspectait d’avoir attrapé la toxoplasmose alors que j’y avais échappé pendant 27 ans. Tous les mois on me posait des questions d’un autre monde (et malheur si tu réponds que tu ne sais pas combien tu manges de biscottes le matin ! inconsciente !). Le fer était trop bas. Je grossissais trop (je ne vous dirai même pas combien j’avais pris en vrai, tout le monde va se moquer de mon gynéco) (allez, si, pour le fun : en fin de grossesse, j’avais un IMC de 23, je viens juste de calculer). Ma glycémie était trop basse, j’aurais du être dans les pommes (on gère comment, du coup, je fais semblant pour que tout soit raccord avec vos analyses, ou bien…?).
Bien sûr, l’accouchement devait être en quelque sorte l’apothéose de ce parcours truffé de dangers invisibles. Cela s’annonçait tellement terriblement compliqué que finalement la directive était “nous on saura”. Et tellement terriblement dangereux… Qu’au lieu de “savoir” ils ont flippé comme des dingues et tout saboté. Mais je passerai ça sous silence, on s’est assez moqué de mon gynéco (et puis les violences obstétricales, c’est pas drôle).
Pendant toutes ces années, avec cet utérus fertile au bord de l’autodestruction, j’étais une bombe à retardement. Un danger public. Du lait sur le feu.
Mais ça, c’était avant. Et maintenant ?
D’abord, j’ai fait le point de façon empirique :
Plus de 20 ans que je porte un utérus fertile, et 1/ il ne s’est pas auto-détruit 2/ je ne me suis pas vidé de mon sang pendant mes règles 3/ mes copines non plus (et pourtant j’ai un paquet de copines).
J’ai vécu 2 grossesses et 2 accouchements, et les seuls moments où tout est parti en cacahuète sont ceux où j’ai été considérée comme un danger imminent pour moi-même et le bébé. Clin d’œil de connivence à l’amicale des pompiers pyromanes : on sait que c’est plus fort que vous les gars, mais quand même, faites un petit effort !
Ensuite, quand même, j’ai fait un petit point plus théorique :
J’ai lu plein de trucs hyper-intéressants mais je vous laisse découvrir ça par vous-même à l’aide de votre moteur de recherche préféré (au-to-no-mie : vous imaginez, je vous raconte n’importe quoi ? allez plutôt vers des sources fiables et documentées).
Et j’ai compris que finalement, mon utérus était “juste” un organe parmi d’autres. Bon, un organe de folie, quand même, hein. Lui, il produit pas de la bile, il respire pas, il filtre pas l’urine : il travaille juste main dans la main avec ses voisins et collaborateurs les ovaires, dans une douce harmonie, baigné d’hormones… pour faire des bébés. Et il fait ça hyper bien la plupart du temps, c’est quand même son job ! Il fait des bébés quand les conditions sont réunies, et le reste du temps, il suit son petit cycle, tranquille. Un ovule arrive, la muqueuse est prête en cas de fécondation… Pas de spermatozoïde ? Même pas un seul ? Allez, tant pis, on se prépare pour la remise à zéro ! Hop hop hop, on laisse couler… Et on reconstitue la muqueuse pour un nouveau cycle !
J’sais pas si vous trouvez ça hyper-flippant, vous…? Moi, j’avoue, j’ai plus peur du tout.
Alors, c’est vrai que certains utérus, certaines femmes, vont présenter des risques à un moment donné… Comme, parfois, y’a une vraie bombe dans un lieu public, ou un vrai feu de forêt dans la forêt. C’est pas pour autant qu’on scanne chaque sac de chaque personne qui passe le portique de l’aéroport. Hum, mauvais exemple.
Bref, avant, j’étais une bombe, maintenant, je suis une mère. J’ai apprivoisé cet organe effrayant, et je me charge moi-même de sa sécurité. Je lui dois bien ça : finalement il a sûrement été un des lieux les plus sécures du monde pour mes gosses…