La charte de l’association Doulas De France est très claire : “Nous ne pouvons pas être présente pendant le travail et l’accouchement sans qu’une sage-femme ou un médecin soit présent.” Pourtant, je lis / entends régulièrement cette question : “mais POURQUOI la doula ne pourrait-elle pas accompagner un accouchement si il n’y a pas de sage-femme ?”
À la maternité, on est d’accord, quand la sage-femme s’absente quelques minutes (qui peuvent sembler une éternité) pour s’occuper des (14) autres femmes qui accouchent en même temps que vous, pas de problème, la doula peut rester. La parturiente est médicalement prise en charge par la structure. En plateau technique, la sage-femme est là. En « maison de naissance » aussi. Je fais donc là référence à un accouchement prévu hors structure médicale. On va parler d’un AAD (Accouchement Accompagné à Domicile) dans le cas d’une naissance à la maison en présence d’une sage-femme, tandis qu’une naissance à la maison sans assistance d’un professionnel de santé est un ANA (Accouchement Non-Assisté) : il peut s’agir d’un choix de départ ou découlant de l’impossibilité de bénéficier de la présence d’une sage-femme pratiquant les AAD. Et oui, les sages-femmes AAD sont rares et précieuses, et dans beaucoup d’endroits c’est mission impossible d’en trouver une. Donc, parfois, ces femmes, qui auraient aimé bénéficier de la présence rassurante et professionnelle d’une sage-femme, vont s’interroger sur la possibilité de prendre “au moins” une doula.
Pourquoi donc une doula me refuserait sa présence alors que je suis déjà privée de sage-femme ? Double-peine ? Hum, dit comme ça, ça paraît pas très sympa…
Alors, je vous arrête tout de suite, sachez que la doula est sympa. C’est comme ça, c’est intrinsèque. Et encore, c’est un mot hyper-faible. Donc, si vous pensez qu’une doula (ne) fait (pas) un truc parce qu’elle n’est pas sympa, c’est sûrement qu’il y a une autre explication.
Mais laquelle ? Vous vous rappelez du métier de la doula, de ses compétences, etc ? Pour rappel : la doula est une professionnelle de l’écoute qui apporte un soutien émotionnel et logistique, de l’empathie, de l’information. En gros. Et tout ça c’est hyper-important pour une femme qui accouche. Certes. Mais la doula n’est pas une professionnelle de santé, elle n’est pas apte à évaluer le bon déroulement d’un accouchement (ou même d’une grossesse) ou à prendre les décisions qui pourraient être nécessaires pour la santé de la mère et de l’enfant. Peut-être seriez-vous tenté d’argumenter qu’au moins, “elle s’y connait toujours plus que moi dans ce domaine, elle est passionnée par ce sujet, elle a lu des bouquins, elle a déjà été présente à d’autres naissances, etc” et qu’il vaut mieux être “mal accompagnée” médicalement parlant que pas accompagnée du tout. Mais non. Ça c’est une erreur. C’est une grosse erreur parce que la doula, lors d’un accouchement, elle soutient la mère, elle l’encourage, elle lui dit que c’est génial ce qu’elle fait ou alors elle se tait et elle envoie toutes ses good vibes à cette femme extraordinaire en train de donner la vie. Un truc essentiel et millénaire. Mais il pourrait se passer quelque chose de pas très clair, là. La femme qui vit un ANA pourrait croire qu’elle fait un AAD. Elle pourrait croire qu’elle peut se reposer sur une professionnelle de santé. Et cette confusion est forcément problématique.
Quand tu escalades en solo intégral, ce n’est pas comme si tu grimpais en binôme avec une personne expérimentée qui t’assure. Les 2 sont ok, quand on a la confiance et les compétences. Mais on ne se comporte pas comme si on était assuré par un.e ami.e expérimenté.e alors qu’on est en solo. Dans un autre registre, perso, quand je me déplace en voiture dans une ville inconnue en prenant pour passager une personne qui connaît la ville, c’est plus fort que moi, je me mets en mode touriste : j’oublie mon GPS (ou son chargeur), je regarde à peine le plan avant de partir, je ne note même pas l’adresse. Il m’est déjà arrivé que finalement, mon passager ne connaisse pas plus la ville que moi : une galère… Je me reposais entièrement sur lui, alors que j’ignorais tout de ses compétences de guide pour cette situation-là ! C’est bête cette réaction, mais très humain aussi.
Revenons à cette hypothétique femme sans sage-femme accompagnée d’une doula. Si, à un moment, la femme ressentait confusément qu’il y avait un problème, la doula essaierait peut-être de lui masser les reins ou de la réconforter (job de doula) au lieu de faire un contrôle rapide au doppler (job de sage-femme)… Aucun commentaire sur un potentiel scénario catastrophe, hein, ce type d’idées circulent suffisamment sans moi… Disons donc que dans la majorité des cas, un accouchement en conditions physiologiques se passe sans complications. La femme pourrait donc se contenter des mots gentils et petits massages de la doula, et mettre son bébé au monde par elle-même, comme elle le souhaite. Il pourrait n’y avoir aucune confusion car la doula lui aurait expliqué en long et en large les limites de son accompagnement non-médical. Tant mieux. Mais quelques semaines / mois plus tard, la femme pourrait être amenée à raconter à ses amies qu’elle a accouché chez elle, avec son compagnon et sa doula. Ouille ouille ouille. Si la confusion sur le rôle de la doula ne s’est pas faite pour le couple accompagné, on peut parier qu’elle se fera pour leurs amis, leurs collègues, leurs voisins… Bref, elle se fera d’une manière ou d’une autre, par une personne ou une autre.
Mais pourquoi est-ce si grave que cette idée fausse circule ?
Pour commencer, parce qu’elle est fausse. La doula n’est pas compétente pour prendre en charge la surveillance médicale d’un accouchement. Point. Alors on ne fait rien pour laisser planer cette idée douteuse. Merci.
Ensuite, parce qu’elle est mauvaise pour l’image des doulas vis-à-vis des sages-femmes (qui sont ces femmes qui prétendent accompagner des accouchements sans aucune formation médicale ? alors que nous-mêmes avons déjà du mal à faire reconnaître nos compétences ?) et de tous les autres professionnels de santé. Et on les comprend carrément.
Parce qu’en semant la confusion dans l’esprit des parents (si “n’importe qui” peut remplacer une SF, pourquoi ne pas zapper carrément le suivi médical pour toute la grossesse ?), elle est dangereuse pour les femmes, les mères, les bébés. Et ça, c’est grave.
Enfin, parce qu’il y a des lois. Et que la loi est très claire là-dessus : d’après l’article L4161-3 du code de la santé publique, peut être poursuivie pour exercice illégal de la profession de sage-femme “toute personne qui pratique habituellement les actes mentionnés à l’article L. 4151-1 (actes nécessaires au diagnostic, à la surveillance de la grossesse et à la préparation psychoprophylactique à l’accouchement, ainsi qu’à la surveillance et à la pratique de l’accouchement et des soins postnataux en ce qui concerne la mère et l’enfant) sans remplir les conditions exigées […] pour l’exercice de la profession de médecin ou de sage-femme”. Bref, comme la loi ce n’est jamais si clair que ça : une personne non qualifiée qui surveille ou “pratique” un accouchement peut être poursuivie pour le motif d’exercice illégal du métier de sage-femme. Tout simplement. Et ça, vous ne le souhaitez sûrement pas à votre doula…
Et mon compagnon, alors, si j’accouche avant qu’on ne parte / n’arrive à la maternité ? Et ma sœur, alors, si elle vient me soutenir avant l’arrivée de la sage-femme, ou même si je projette un ANA en sa seule présence ? Et ma copine, si un accouchement express pointe le bout de son nez alors qu’elle était venue boire le thé ? À partir de quel terme faut-il se tenir à distance des femmes enceintes pour être sûr.e.s de ne pas se retrouver devant la justice ? Rassurez-vous, si vous êtes le compagnon, la sœur, l’amie, bref si vous n’êtes pas doula ou issu.e d’une autre formation suspecte, vous serez juste poursuivi.e par les paparazzi de votre ville pour faire la une des journaux (et attendez-vous à “avoir accouché” cette pauvre femme en détresse…).