J’ai souhaité partager ceci avec vous car, personnellement, j’aurais aimé lire des récits de femmes qui ont réalisé leur tente rouge par elles-mêmes, sans passer par un laboratoire de couture professionnel, en se faisant confiance et simplement accompagnées d’une machine à coudre expérimentée. Moi qui doutais beaucoup de mes capacités, ce fut une véritable expérience d’empowerment, et cela a complètement transformé ma vision de moi-même. Je souhaite la même chose à chacune de vous.
D’abord, il y a eu la phase de préparation. Tranquille, sereine, puis intense, fébrile : c’était pour bientôt ! Je pensais de plus en plus souvent à elle, j’imaginais avec joie et beaucoup d’appréhension le moment de sa réalisation, mais surtout je me voyais déjà la prendre dans mes bras, sentir sa douceur, écouter le bruissement de son tissu.
C’était un peu dur de passer de la “tente rouge rêvée” à la réalité, mais c’était l’étape suivante. J’ai commandé la structure. J’ai écumé le bon coin à la recherche de rideaux en voile de 145×300 cm (Ikea, je ne vous félicite pas d’avoir mis fin à la commercialisation de Wilma : si c’est une façon d’essayer de nous décourager de faire nos tentes rouges par nous-mêmes, ça ne marche pas). J’ai donc trouvé trois paires de rideaux rouges, fuschia et orangés de bonnes dimensions. Je comptais sur quelques tissus de récup’ pour compléter. J’étais confiante, je savais que je pouvais le faire, avec, bien sûr, les peurs partagées par toutes les primi-couseuses de tentes rouges. Mes échanges réguliers avec ma machine à coudre, sage-couseuse expérimentée, avaient contribué à me rassurer.
Et un jour, un signal : c’était maintenant. Elle devait être prête une semaine plus tard. J’allais passer du rêve à la réalité. Quelle émotion !
Pendant les premières heures, je sentais que mon néocortex était encore très mobilisé : je cherchais à être efficace, rationnelle. Je savais que ces premières étapes seraient déterminantes pour la suite et pour mon moral. J’avançais doucement, mais sûrement, je savais que chaque petite difficulté était suivie d’un moment plus facile. Comme j’étais encore très connectée à la réalité, c’est à ce moment-là que j’ai imaginé comment transformer un tissu rectangulaire de 145×220 en trapèze de 145×300 (si toi non plus t’as pas trouvé de rideaux assez longs, la géométrie est ton amie). Je me sentais très inspirée, toute peur avait disparu, j’avais très envie que le travail avance. Je grignotais beaucoup entre chaque couture.
Les heures suivantes ont été plus difficiles. Les positions que je trouvaient pratiques et confortables au départ (à genoux, allongée par terre…) ne me convenaient plus. J’ai compris que le moment était venu de faire appel à ma sage-couseuse. Je me suis installée sur une chaise avec elle. Waouh, je n’aurais jamais cru que sa venue m’aiderait autant ! Je me sentais bien, je restais libre d’agir, et j’étais rassurée par sa présence discrète et son bruit apaisant. J’ai retrouvé ainsi beaucoup d’énergie. Malheureusement, cela n’a pas duré : fil cassé, stagnation du travail associée à pas mal de stress, même ma sage-couseuse semblait désemparée !
Pfiou, pourquoi à chaque fois que j’avais l’impression d’avoir trouvé LE truc efficace et confortable, ça ne durait pas ? Petit passage à vide pendant lequel mon conjoint m’a soutenue de son mieux. J’ai aussi reçu beaucoup de messages d’encouragements de mes amies doulas. Que c’était bon de me sentir entourée de bienveillance ! Finalement, cette pause m’a été bénéfique, car j’ai pu, pendant les heures suivantes, aborder les choses avec un état d’esprit complètement différent. Je ne pensais plus résultat, deadline, technique. J’étais entièrement absorbée par l’instant, le fil, le bout de tissu qui était sous mon nez. J’avais lâché prise, j’étais dans ma bulle. Je savais que cette tente rouge serait cousue, terminée, à un moment ou à un autre. Je savais que je ne devais pas essayer de maîtriser les choses, mais plutôt accepter et traverser chaque difficulté sans penser à la suivante. Le chocolat et le thé m’aidaient beaucoup. La présence de mon compagnon, m’encourageant, me soutenant, prenant des photos, aussi. Et ma sage-couseuse, bien sûr.
Puis, alors que j’avais fini ce que je pensais être le plus difficile (le toit!), j’ai failli baisser les bras. Plus rien n’allait. Ce que j’avais à faire était bête comme un ourlet de rideau, et j’allais tout laisser tomber et remettre les tissus dans leurs cartons. Tant pis. Désespérance. C’était trop long, trop dur, j’avais fait tellement, et ce n’était pas fini ! Comment avais-je pu me sentir capable ?
Heureusement, je me suis recentrée sur l’essentiel. Le prochain point, seulement le prochain point. Mais que c’était dur ! La fin semblait si proche et si inaccessible ! Enfin, les derniers centimètres. Adrénaline. Je m’étais mise à coudre debout, sans même m’en rendre compte. Et… Waouh, elle était là tout entière. Ma tente rouge. Belle, douce, chaleureuse. Cousue de mes mains, avec l’assistance technique de ma chère sage-couseuse, la présence précieuse de mon chéri, le soutien discret de mes amies doulas, chez moi, dans mon salon.
C’était une expérience extra-ordinaire ! Elle a été terminée il y a quelques heures à peine, et ce soir nous dormons tous ensemble à la maison… Quel bonheur ! J’ai remis ma sage-couseuse dans sa housse, elle sera disponible demain si j’ai besoin d’aide pour les retouches. Que je suis heureuse que certaines machines expérimentées travaillent encore hors des labo de couture professionnels ! Et que je suis fière de moi !
Les choses qui m’ont le plus aidée pendant ce marathon ont été :
– de la nourriture riche en énergie : chocolat, oléagineux, fruits secs, cookies. A volonté. J’ai senti que grignoter régulièrement quelque chose m’aidait vraiment à tenir le coup.
– beaucoup d’espace (une pièce de 24m2 entièrement débarrassée de ses meubles, une grande table dans une autre pièce pour pouvoir changer d’environnement… globalement toute la maison a été occupée d’une manière ou d’une autre) et une ambiance zen (pas d’enfants, tout ça… après chacun ses goûts).
– la possibilité de changer de position régulièrement. On imagine souvent que la meilleure position pour coudre est assise sur une chaise. En réalité, c’est surtout la position imposée dans les labo professionnels ! Ne vous fiez pas à ce que vous avez vu dans Cousette Boom : ces femmes ne sont pas dans des conditions physiologiques de couture, c’est d’ailleurs pour cela que les interventions des spécialistes sont fréquentes, notamment pour effectuer des découpes inutiles et compliquer le travail.
– le soutien inconditionnel et les encouragements de mon compagnon. C’est peut-être la chose qui m’a le plus aidée. Même si il était clair qu’il ne pouvait pas réaliser cette tente rouge à ma place, qu’il m’apporte de l’eau régulièrement, qu’il veille à ce que le chien ne marche pas sur le tissu, et bien sûr qu’il ait confiance en mes capacités ont été des éléments déterminants. Je peux dire aujourd’hui que cette expérience nous a rapprochés.
– l’accompagnement technique de ma sage-couseuse, et le soutien émotionnel de mes amies doulas
– la connaissance des différentes étapes. Les différentes lecture faites en amont m’ont permis d’être moins angoissée.
– la pensée que beaucoup d’autres femmes avaient cousu des tentes rouges avant moi. Et oui !
Les “trucs et astuces” :
– ce n’est pas une bonne idée d’acheter le fil le moins cher.
– la bébé-bobine du bas consomme autant de fil que celle du haut (ça paraît dingue, mais c’est comme ça) : le mieux c’est de trouver la fonction “remplissage automatique de la bébé-bobine” avant le dernier jour (quoi qu’une découverte pareille, ça t’illumine ta phase de désespérance).
Toute ressemblance avec d’autres événements de la vie d’une femme existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Bonne couture, et belle tente rouge !