Hier matin, mes filles se sont levées bien trop tôt pour un samedi du mois d’août. Trop tôt pour des gosses qui s’étaient couchées à 23h dans MON lit après une soirée épique sans papa. Elles ont commencé à se chamailler avant même que je ne descende dans la cuisine. Il n’y avait rien pour le petit déjeuner. J’ai fait des crêpes. Oui, faut sûrement être un peu dingue pour faire des crêpes au réveil, sans avoir bu de café, sans s’être assise ou posée deux minutes pour respirer. Ma dizan a fait sa pré-ado contestataire pour un carreau de chocolat, et j’ai joué à la tolérance zéro alors que j’étais 100 fois pire à son âge. Ma bientôt-septan a voulu que je réchauffe sa dernière crêpe alors qu’elle en avait déjà mangé deux – moi zéro – et je l’ai fait en pestant alors que j’étais plus à 1/2 minute près. J’ai été là sans être là, j’avais pas l’énergie de relativiser et de savourer en pleine conscience ce moment partagé. J’ai râlé parce que plus personne ne disait merci dans cette maison, alors qu’en vrai je sais depuis 25 ans que c’est une norme sociale sans valeur et qu’on devrait pas mélanger la gratitude et les histoires de servir un verre d’eau. J’ai fait mon adulte de base alors que j’avais qu’à me coucher plus tôt la veille pour être en forme le matin. J’en ai conclu que j’étais sûrement la plus mauvaise mère de la Terre.
Mon WonderMum-mètre était à zéro.
L’après-midi, je les ai emmenées se baigner. Pas rancunière, la mauvaise mère.
En arrivant au lac, il n’y avait aucune place de parking. Je me suis garée à 4000km (je vous ai dit qu’on avait habité longtemps à Marseille ?), je savais même pas que la route allait aussi loin. On a marché 4000km sous un soleil de plomb pour rejoindre la plage de sable. Les filles étaient ravies de porter leurs affaires (quand c’est comme ça tu poses pas de questions). Tous les gens qui avaient garé leur voiture sur le parking avaient également étalé leur serviette sur la plage (c’était prévisible). Sauf qu’ils étaient apparemment plusieurs par voiture (et au vu du changement climatique, je les en félicite). Les filles étaient sous le choc (« maman, j’avais jamais vu autant de monde d’un coup ! » – je vous ai dit qu’on vivait maintenant dans un hameau de 15 habitants ?). J’ai annoncé que nous allions chercher un endroit plus calme, et à l’ombre. Elles étaient ravies (donc j’ai continué à ne pas poser de questions). Tout le monde souriait.
Mon WonderMum-mètre commençait à remonter.
On a trouvé une jolie plage ombragée même pas 200m plus loin. On s’est installées, on s’est baignées, l’eau était délicieuse. J’ai bouquiné, regardé le paysage béatement, pris des photos plutôt moches (cf. tout en bas de la page). Mes filles ont rigolé, nagé, sauté, plongé, éclaboussé, fabriqué des radeaux avec des écorces, étalé des jouets partout. On a fait des châteaux de sable, joué aux raquettes, observé un poisson. On a mangé un goûter fait-maison zéro-déchet, et on a même ramassé et jeté les déchets des autres. On m’a confié un secret « maman, la dame là-bas elle a dit à son petit garçon qu’il allait avoir une fessée si il arrêtait pas avec le sable ». J’ai répondu par un autre secret « tu sais, c’est difficile d’être une maman, la dame ne savait sûrement pas quoi dire d’autre ». Et une solution a été trouvée « je vais proposer au petit garçon de jouer avec moi comme ça il arrêtera avec le sable et il se fera plus gronder ». J’ai noté que, même si le « merci » se faisait rare en ce moment, d’autres valeurs prioritaires semblaient être bien passées. J’ai savouré, sans me poser de questions, cet instant présent-là.
Mon WonderMum-mètre allait exploser.
En fin d’après-midi, j’avais rendez-vous avec des jeunes parents et leur bébé tout neuf, au bord du lac. Des jeunes parents pleins de doutes et de questions de jeunes parents.
À un moment, le mot culpabilité est tombée. Je l’ai relevée. On en a parlé. La jeune femme en face de moi, qui venait de vivre un accouchement et de devenir mère, qui allaitait son bébé, qui répondait à ses besoins jour et nuit, qui avait opté pour les couches lavables, se sentait coupable. Cette femme qui vivait peut-être le plus grand chamboulement de sa vie, qui dormait trop peu, qui mangeait debout, se sentait coupable. Elle assurait comme une dingue, et elle se sentait coupable.
La plus mauvaise mère de la Terre, que j’étais le matin-même, à ce moment-là, c’était elle. Je vais pas lui jeter la pierre, puisque je l’ai été avant elle, et que je le serai encore. Par contre j’aimerais qu’elle reste pas longtemps avec cette idée, avec cette sale bête qu’est la culpabilité. On n’arrête pas de dire aux femmes de ne pas culpabiliser. Mais ça reste une injonction, et elles en ont déjà un paquet à gérer. Si on leur disait plutôt de prendre ça comme un « aléa » ? Comme un truc inconfortable à traverser ? Comme un sentiment qu’on a le droit de ressentir, de reconnaître, et de laisser partir ? Parce qu’il faudrait pas se mettre à culpabiliser d’avoir ressenti de la culpabilité… Ça se contrôle pas, ça se combat. En douceur, en bienveillance envers soi-même. Un jour après l’autre, avec des rechutes, parfois – souvent, peut-être.
La culpabilité, elle te tombe dessus un matin parce que t’aurais été plus en forme en te couchant plus tôt. Parce que c’est pas la faute de tes gosses si t’as pas envie de sourire. Parce que tu connais au moins 32 outils de communication bienveillante pour demander à ta fille de POSER CE PUTAIN DE CHAT, mais que ce jour-là, t’en as utilisé aucun. Parce que personne t’avait demandé de faire des crêpes, faut assumer ton délire fait-maison zéro-déchet, cocotte. Parce que tu ne donnes pas à tes filles toute la qualité de relation qu’elles méritent. Parce que tu t’es dit « ouf » quand elles sont reparties jouer et que tu t’es assise – enfin.
La culpabilité, elle tombe sur les femmes qui n’aiment pas être enceintes. Sur les femmes qui ont pris trop de poids. Sur celles qui n’en ont pas assez perdu. Sur les femmes qui ne « s’étaient pas bien préparées » pour l’accouchement. Sur celles qui « s’étaient hyper-bien préparées » mais qui n’ont pas « réussi ». Sur celles qui ont craqué pour la péri. Sur celles qui n’ont pas eu envie de s’en passer. Sur les mères qui n’ont pas ressenti le tsunami d’amour inconditionnel pour leur bébé dès que qu’il a été posé sur leur ventre. Sur celles qui ne veulent pas allaiter. Sur celles qui galèrent à allaiter. Sur celles qui au bout de 2 semaines n’arrivent toujours pas à « reconnaître les différents types de pleurs de leur bébé ». Sur celles qui ont hâte de retourner au boulot. Sur celles qui n’y retournent pas, mais n’ont toujours pas le temps de faire le ménage.
Quoi que tu fasses, elle te tombe toujours dessus à un moment où à un autre. Que tu sois mère depuis 10 jours, 10 mois, 10 ans. Y’a bien un jour où tu vas te sentir la plus mauvaise mère de la Terre. Alors que tu fais juste le job le plus difficile de la Terre. Y’a bien un jour où tu vas oublier que t’assures grave. Alors que t’assures grave.
Regarde-toi dans le miroir avec toute la bienveillance que tu pourrais offrir à une autre que toi. Et fais-toi un cadeau. Regarde-toi toujours comme la meilleure mère de la Terre. Ce que tu es, et que tu as toujours été.