Tu accoucheras dans la peur. Pour la douleur, c’est bon, enfin presque : il y a eu Lamaze, et puis la péridurale…
Tu accoucheras dans la peur de ne pas savoir, de ne pas pouvoir. Parce que depuis le temps qu’on te démontre que ton corps ne sait pas grand chose, cette idée s’est fait une belle place au soleil dans ton mental… Et ta puissance de femme a bien du mal à pousser dans l’ombre.
Tu accoucheras dans la peur des « complications ». Parce qu’on t’en a racontées, des naissances difficiles, des cols qui s’ouvrent pas, des souffrances fœtales, des hémorragies robinet ouvert, « sans intervention elle serait morte »… On t’en a tellement racontées que tu en es arrivée à croire que ça se passait systématiquement mal.
Tu accoucheras dans la peur des violences obstétricales. Parce que tu t’es renseignée, tu sais à quel point ça dérape vite, hop, une petite remarque qui te sape le moral, un coup de ciseaux sans consentement et une suture à vif… Mais la peur n’est pas toujours la meilleure protection.
Tu accoucheras dans la peur pour ton bébé. Parce qu’on ne sait jamais, on entend tellement de choses, des maladies non-détectées pendant la grossesse, des troubles du développement, des bébés nés sans vie… Oui, ça arrive.
Mais la peur est-elle vraiment cette fatalité ? Peut-on s’en passer, doit-on la faire taire ?
Faire taire une émotion, non, jamais. Les émotions, ça se censure pas comme ça. C’est insaisissable et inconsistant, c’est comme de l’eau, ça trouve son chemin d’une manière ou d’une autre, ça se faufile dans les failles ou ça monte en pression pour ressortir en geyser si on tente de l’enfouir.
Alors quoi ? La laisser couler, s’infiltrer partout, affaiblir tes fondations – ancrage, confiance, puissance – et rendre poisseux de peur humide tout ce que tu touches ?
Non plus. Tu t’en doutais, hein ? Et pourtant… Ne l’as-tu jamais fait ? De ta vie entière ? Si, jamais ô grand jamais, tu n’as cédé à la tentation du déni, pataugeant en bottes de pluie dans ta peur liquide en faisant comme si tout était ok, ou essayant de colmater la fuite avec un vieux t-shirt roulé en boule, tu peux arrêter ta lecture maintenant. Avec les félicitations du jury.
Sinon… Qu’est-ce qu’on fait avec cette peur ? On accouche dedans, vraiment ? Mmmmhhh, bof.
D’abord, tu peux la poser à plat devant toi ; la regarder en face. Ou LES regarder en face, car (surprise !!!) elles seront peut-être plusieurs.
Sous ces angoisses liées à l’accouchement, il y aura peut-être la peur de la défaillance du corps, la peur de lâcher prise ou de ne pas savoir le faire, la peur de l’échec, de la souffrance, de la mort, de la maladie, de faire caca devant tout le monde. Beaucoup de ces peurs ne sont finalement pas si spécifiques à l’accouchement (exception pour la dernière… bien qu’on puisse la rapprocher de quelques cousines, par exemple la peur que ton amoureux se rende compte après une folle nuit qu’au matin tu as une haleine de chacal : et finalement, quand ça arrive, tout le mode s’en fout, vraiment). N’empêche que là, elles sont puissance 10 000, et c’est bof. Alors il va falloir les examiner à la loupe, les trier, les transformer.
Est-ce qu’elles t’appartiennent ? Aujourd’hui, peut-être, mais avant ? Qui te les a refilées ? Pourquoi elles surgissent maintenant ? Comment s’est passée ta naissance ? Quel récit en as-tu eu ? Quelle est la vision de ton entourage ? De la société dans laquelle tu vis ? Qu’est-ce qu’on a bien pu te raconter, ou ne pas te raconter, à propos de l’accouchement, de ton corps, de ta puissance de femme ?
À plat comme ça devant toi, ça fait peut-être beaucoup de choses. Ça te donne peut-être envie de t’enfuir en courant, ou de mettre des bottes de pluie pour continuer à patauger en regardant ailleurs, ou de colmater la fuite jusqu’à ce qu’elle te pète à la figure, de préférence pendant les jours ou les heures précédant la naissance de ton enfant. Mais la peur, au plus on la parle, au mieux on la connaît, au moins elle a d’emprise sur nous. Alors on lâche rien, on continue.
Une doula peut être une aide précieuse pendant cette déconstruction. C’est quand même mieux de parler les peurs quand une oreille attentive et bienveillante est à l’écoute… Le choix de la préparation à la naissance, des professionnels de santé qui suivront cette grossesse, du lieu de naissance, auront leur importance aussi.
Ainsi, pas à pas, petit à petit, les peurs s’apprivoiseront. Elles ne disparaîtront peut-être pas toutes. Mais elles seront connues, domptées, non-paralysantes. Elles seront comme toutes les peurs modérées du quotidien, te revenant à l’esprit dans le creux de la vague, et disparaissant dans le feu de l’action. Elles seront des personnages secondaires, peut-être même des figurantes.
Et tu accoucheras dans le lâcher-prise, dans la confiance, dans la pleine conscience de ta puissance de femme qui balaiera ces fragments de peurs illégitimes d’une seule et énorme vague d’ocytocine. Et peut-être aussi, si tu veux bien, tu le raconteras à la terre entière, histoire de refiler un peu de toute-puissance aux femmes qui n’auraient pas encore osé poser leurs peurs à plat…