L’humain n’aime pas être mis dans des cases. L’humain a besoin de déborder, de s’étirer entre les différents aspects et facettes de sa vie, de revendiquer sa forme unique et particulière.
Pourtant, parfois souvent il s’y met lui-même plus ou moins consciemment. Besoin d’appartenance ?
En tant que mère, beaucoup de femmes ont ce besoin de se reconnaître dans l*d’autres mères. Et certaines, parmi elles, ne se retrouvent pas dans les schémas qu’on appelle aujourd’hui encore « classiques », ou, pire « standards ». Mais qui est « standard » ? Qui aurait l’envie de se faire cette trahison à soi-même ? (hors-sujet, je clôture vite-vite cette idée, mais pensez-y…)
Je fais partie de celles qui, en devenant mère, ont refusé de laisser pleurer leur bébé pour leur « faire les poumons » (j’ai misé sur l’idée qu’ils avaient été suffisamment bien faits in utero… pour l’instant, c’est ok, mes filles respirent encore…), ont voulu allaiter jusqu’après la reprise du travail, ont essayé de répondre à leur besoin de contact en le portant même à la maison en préparant des repas bio… Non, je ne ferai pas la liste de tout ce que fait une parfaite maman proximale, parce que, justement, cette liste, je l’ai déjà trop souvent lue. Mais le mot est lâché, je me suis reconnue dans les mères pratiquant le « maternage proximal » : j’avais trouvé ma case.
J’avais trouvé une case et ça m’a fait du bien, ça a comblé mon besoin d’appartenance.
[Minute culture gé : Pour rappel, dans la pyramide de Maslow, les besoins d’appartenance sont situés deux étages au-dessus des besoins physiologiques, rarement comblés à 100% quand on prend soin d’un nourrisson (sommeil, sexualité, tout ça), mais visiblement c’est pas grave, ça fait toujours plaisir de cocher un truc dans la pyramide.]
Bref, j’étais une maman « maternante » qualificatif souvent utilisé à tort (puisque, par définition, toutes les mères maternent…) pour parler du maternage proximal. J’ai découvert le merveilleux forum local créé par Laety d’Ensemble naturellement (oui, je vous parle d’une époque où les forums étaient le top du top de l’échange virtuel… alors, vieille ou pas vieille ?), j’ai rencontré des mères sur la même longueur d’ondes que moi, beaucoup sont devenues des amies, j’ai pu poser mes questions existentielles sans passer pour une extra-terrestre, parler de mes nuits pourries sans recevoir de conseils qui ne m’auraient pas convenu, partager des doutes, des envies, des expériences avec des femmes dans lesquelles je pouvais me reconnaître, ou du moins reconnaître certaines de mes aspirations. Qu’elle était jolie, ma case ! Qu’on se sent bien, entourée de personnes partageant nos idéaux ! Je ne remercierai jamais assez d’avoir pu bénéficier de ce bain de bienveillance.
MAIS, aussi douce et bienveillante soit-elle, une case reste une case. Parfois j’ai pu me sentir à l’étroit dans la mienne, ou échanger avec des femmes qui s’y sentaient à l’étroit. J’ai rencontré des femmes qui n’osaient pas dire qu’elles avaient pris la péri (deux fois ! et qu’elles avaient bien l’intention de récidiver pour leur 3e en route…). Des femmes qui s’en voulaient terriblement de constater que l’allaitement ne leur convenait définitivement pas. Des femmes qui, pour rien au monde, ne se seraient privées de retourner travailler dès la fin du « congé maternité ». Toutes sortes de femmes, qui, de façon globale, se retrouvaient dans l’approche « proximale » mais qui, surprise, n’étaient pas des copies de la copie de la copie de la parfaite maman maternante. Toutes sortes de femmes uniques et particulières.
C’est pas grave, cette diversité, et c’est tant mieux ! Mais ce qui est un peu grave quand même, c’est cette omniprésence de la case, qu’on le veuille ou non. Vous en doutez ? Un seul exemple. Il existe d’innombrables supports visuels originaux et humoristiques visant à soutenir les mères qui font ce choix encore non-conventionnel de maternage proximal : ils sont souvent géniaux, dédramatisent les situations et debunkent nombres d’idées reçues. Mais à y regarder de plus près, je suis gênée par l’association systématique de pratiques sensées aller ensemble et le petit côté liste d’épicerie. J’y retrouve les caricaturales « signatures » qui s’affichaient sur les forums en mode CV de l’extrême (les vieilles comprennent…) : grossesse « naturelle » avec le minimum d’examens médicaux, suivi par une SF (sage-femme) géniale, AAD (accouchement à domicile) comme une expérience intense et extatique (variantes possibles : combo accouchement physio / sans péri / zéro intervention / sortie précoce, ou ANA), allaitement (ou co-allaitement, l’aîné n’ayant idéalement que peu d’écart avec le bébé), portage physiologique, co-dodo, CL (couches lavables) ou mieux, HNI (hygiène naturelle infantile), DME (diversification menée par l’enfant), évidemment zéro VEO (violence éducative ordinaire) avec option IEF (instruction en famille) ou école alternative au moins pour la maternelle. Bref, des choix respectueux, bienveillants, à l’écoute des besoins de l’enfant. Des choix qui me parlent énormément à titre personnel.
Je ne remets pas (absolument pas !) en question le bien-fondé du maternage proximal ou des pratiques citées plus haut. Je remets en question toute tendance à aplanir la diversité des pratiques et des visions en créant un autre « standard » : celui où on se libère des injonctions de la société pour s’enfermer dans une case au risque de s’y sentir peut-être un jour à l’étroit.
Certaines femmes choisissent l’AAD parce qu’elle veulent laisser pleinement s’exprimer la puissance de leur corps dans le passage initiatique qu’est l’accouchement. Elles ne devraient pas ensuite se sentir moins reconnues ou valorisées parce qu’elles choisissent de ne pas allaiter.
Certaines femmes vivent des grossesses et des naissances hyper-médicalisées, par choix ou obligation ou pure peur de sortir des clous. Elles ne devraient pas ensuite avoir à s’en justifier en échangeant avec des mères qui, comme elles, ont fait le choix de répondre aux besoins de contact de leur enfant en pratiquant le portage et le cododo.
Certaines femmes allaitent, et donnent des petits pots industriels (bio ou pas) dès 6 mois. Leur priorité est peut-être dans le sein, pas dans la cuisine.
Certaines femmes accouchent sans péri, et couchent leur enfant dans son berceau dès le retour de la maternité. Leur priorité est peut-être « partager toutes les sensations de la naissance », pas partager le lit.
Certaines femmes… la liste serait trop longue. Certaines femmes sont qui elles sont et ne rentrent jamais complètement dans aucune case. Dit comme ça, ici, ça peut paraître flatteur, et moi je les encourage, ces femmes, à affirmer leurs choix quels qu’ils soient, même s’ils semblent contradictoires ou éloignés du standard ou de l’anti-standard. Mais de l’intérieur, souvent elles se sentent pas assez bien pour… un peu moins parfaites que… un peu trop pour… Ni à gauche, ni à droite ; ni assez proximale, ni suffisamment distale ; le cul entre deux chaises, obligées de se contorsionner ou de s’asseoir sur une partie de leurs envies / besoins pour se sentir à leur place quelque part…
En tant que doula, je me positionne pour que chaque femme puisse choisir, pour elle-même et son enfant, ce qui lui semble juste et judicieux, au-delà des standards et parfois au-delà de la logique apparente – tu n’as pas besoin d’être cohérente tout le temps.
En tant que doula, je n’évalue pas, je ne compare pas, j’accompagne le parcours de chacune sans jugement, aussi atypique et éloigné des cases puisse-t-il être.
En tant que doula, je lutte contre l’idée insidieuse et très répandue selon laquelle, au-delà du discours lisse et politiquement correct, « toutes les mères sont suffisamment bonnes » (plagiat, mais personne ne l’a mieux dit depuis Winnicott, que je vous invite à lire), il y a un « mais certaines le sont plus que d’autres » (là encore, plagiat, on va voir qui a les mêmes références littéraires vintage que moi 😉 ).
En tant que doula, j’espère aider les femmes à assumer qui elles sont sans avoir besoin d’une validation extérieure. A se sentir juste mères suffisamment bonnes, toutes dans le même bateau mais chacune navigant à sa façon, dans la même case sans frontière, ou peut-être en-dehors ?