L’essentiel est minuscule. L’essentiel est timide, en retrait, il se laisse voler la vedette par les détails clinquants du quotidien.
Le quotidien, parfois, c’est quelle tenue choisir, est-ce que je suis pas un peu rond·e pour mettre ça, regarde-moi ces cernes, je me couche trop tard et mon réveil sonne trop tôt, est-ce que je suis vraiment à la hauteur pour ce boulot. C’est des questions existentielles en cascade sans réponse acceptable, des névroses trimballées comme des secondes peaux à travers chacun de nos choix, des combats perdus d’avance contre les cons, le monde, le temps.
L’essentiel, c’est rester en accord avec soi, en lien avec ce corps parfois imparfait ou même en moyenne santé, mais vivant.
Parfois, c’est pourquoi iel m’appelle pas, iel le sait pourtant que j’avais une grosse journée, que j’avais besoin de réconfort, on dirait que personne d’autre que moi ne sait utiliser un balai dans cette baraque, j’arrive pas à croire qu’iel ait claqué cette somme dans un PC alors que ça fait trois mois que j’économise pour nos vacances. C’est la vaisselle qui s’accumule, la fatigue de la routine, l’usure des mots mal dits.
L’essentiel, c’est la connexion avec ceux qu’on aime au-delà des divergences d’opinions et des incompréhensions de surface.
Quand on devient mère ou père, c’est les couches, les tétées, les lessives, la prise de poids, la fatigue, les repas de tartines debout, les cafés froids un bébé aux bras. C’est l’effondrement devant la masse d’émotions contradictoires et de stress à gérer, la peur de faire mal ou trop peu, la vision d’un sol dégueulasse ou d’une cuisine apocalyptique.
L’essentiel, c’est le regard de son bébé, sa petite main agrippée à la nôtre.
La première année passée, ça ne s’arrête pas, c’est des responsabilités en pagaille, des injonctions, encore et toujours, des craquages pour des gouttes d’eau qui font déborder des vases de fatigue et de frustration dans la course sans fin du quotidien. Il faut de la thune, il faut du temps de qualité, un équilibre affectif sans faille, un environnement riche et nourrissant, ce serait bien qu’iel fasse de la musique, et du sport bien sûr, et qu’iel soit en relation avec des adultes et des enfants d’horizons différents pour son épanouissement personnel. C’est quand qu’on jette l’éponge et qu’on se claque un burn-out ?
L’essentiel, c’est de faire de son mieux.
A chaque étape de la vie, c’est se casser la gueule, encore, des obstacles, toujours. Des échecs et des réussites comme des montagnes russes dans un monde qui aime placer les choses et les gens sur une échelle de valeurs. Des joies et des déceptions dans un cœur qui rêve de coton et de décors en pâte à sucre. Des gens qui meurent et la Terre qui crève.
L’essentiel, c’est de continuer.
L’essentiel est minuscule, il tient à un fil, il se planque dans les détails, si discret qu’on peut facilement passer à côté, si quotidien qu’il en devient banal. On le paume, parfois, à force d’avoir le nez dessus. Alors on s’en va chercher des paillettes et des chemins loin de lui. On se rappelle vaguement qu’on savait le trouver avant, au fin fond de l’enfance ; on l’enveloppe de nostalgie et de mystère. On espère naïvement le retrouver après, un jour, peut-être, on ne sait pas quand ; on l’imagine inratable et étincelant, entouré de signaux lumineux et d’un tonnerre d’applaudissements. On se plante, car il n’existe que dans l’ici et maintenant.
L’essentiel est sans limite, c’est la goutte de rosée qui contient l’océan, c’est l’étincelle capable d’illuminer le monde. Il est bien trop grand pour que tu puisses le trouver en regardant ta vie à la loupe, en disséquant tes échecs et tes chances de réussite. Il est bien trop entier pour se laisser analyser et découper en données rationnelles. Pour l’apercevoir il faut ouvrir ton cœur et tes fenêtres, il faut quitter la peur de le laisser entrer et tout balayer sur son passage.
C’est la Vie, l’Amour, le Lien. Appelle-le comme tu veux, mais redonne-lui la place qu’il mérite : toute la place.