Je me souviens de ma première grossesse comme d’un joli voyage en inconscience. Avec tout ce que l’inconscience peut contenir – le pire et le meilleur.
Inconscience des conséquences et répercussions de chacun de mes choix ou de mes non-choix : parce que j’étais naïve, je plaçais ma confiance dans le corps médical bien plus que dans le mien. Cette inconscience-là, la pire, je n’en parlerai pas aujourd’hui. Même s’il y aurait beaucoup à en dire.
Inconscience du processus de création qui se jouait au-delà du matériellement quantifiable et du monde connu : cette inconscience-là, la meilleure, m’a ouvert des portes que jamais la conscience bien-pensante ne m’aurait autorisée à approcher
Je me souviens de mes crises de nerfs pour des pâtes cuites avant la sauce alors qu’il aurait fallu les préparer après, elles allaient refroidir !!! De mes larmes le matin pour ne pas aller travailler alors que j’étais soit-disant en pleine forme… De mes moments extatiques, les mains posées sur le miracle en cours… De mes absences, de mes oublis…
Je me souviens des plongeons incontrôlables dans des émotions enfouies et lissées en apparence depuis longtemps. On dit que la grossesse fait « remonter des choses à la surface ». Mais je crois qu’au contraire, elle nous fait descendre à la cave. Travail de classement et de dépoussiérage. On y trouve des trésors oubliés, des souvenirs perdus, des sensations si anciennes qu’on ne sait plus les nommer. Alors le corps parle. Il parle avec des hauts, des bas, des cris, des silences. On perd un peu la mémoire, c’est dur de continuer à suivre le fil de la vie en surface quand tant de choses se passent à l’étage en-dessous. On saute d’une humeur à l’autre, parce qu’aucune ne semble vraiment correspondre à l’intensité ressentie.
Je disais « c’est les hormones ». Le futur papa à mes côtés, inquiet de tous ces débordements, avait fini par s’inscrire sur un forum dédié à la grossesse pour y déposer mes comportements déroutants, et s’était vu répondre « tu n’imagines pas, elle est en train de devenir une maman ». Je ne sais pas en effet si il imaginait, mais au moins il pouvait relativiser. Moi, je restais dubitative devant cette interprétation que je jugeais simpliste. Je voulais devenir une maman, c’était un choix complet, réfléchi, assumé. Alors pourquoi me mettre dans cet état ? Non, vraiment, si il n’y avait pas eu toutes ces hormones…
Depuis, j’ai croisé beaucoup de mères en devenir. Pour certaines, c’était plus simple que pour d’autres. Mais toutes, à un moment, ont été appelées à la cave. Pour un petit ou un gros travail, au détour d’un rêve bizarre ou en stage intensif pendant plusieurs mois. Questions existentielles, flashes de l’enfance, besoin de tout remettre en cause, de renouer des liens ou de tourner des pages. Les hormones, d’accord, mais quoi d’autre ?
Devenir mère, c’est commettre l’irréparable. Dans toute sa grandeur. C’est un aller simple, un voyage à sens unique, pas de marche arrière possible. Il y a un avant et un après.
Il faut une inconscience magnifique pour oser un voyage dont on ne connaît pas la destination. Vous partiriez, vous, seule, à la nage, rejoindre un continent inconnu, avec pour seuls repères les cartes postales édulcorées envoyées par celles qui ont rejoint avant vous d’autres continents ? Car chacune voyage vers un lieu différent. La maternité, c’est vaste comme le monde, aucun chemin de mère ne ressemble à un autre. Vous quitteriez, vous, votre moi connu, construit depuis l’enfance avec plus ou moins de bonheur, pour aller à la rencontre d’un moi-mère dont vous ne savez même pas à quoi il ressemblera, s’il vous plaira, s’il sera une seconde peau ou un habit trop lourd à porter – ou les deux, une seconde peau parfois bien lourde à porter ? On sait la femme que l’on est – dans le meilleur des cas – mais on ignore tout de la mère qu’on sera. Et pourtant, on part.
Souvent, on part seule, parce que le papa en devenir, aussi impliqué soit-il, doit traverser par un autre itinéraire. Lui aussi a un sous-sol à dépoussiérer, des vieilleries à mettre en ordre et des trésors à découvrir.
Se faire accompagner par une doula pendant sa grossesse, ça ne veut pas dire ne pas être appelée à la cave, ne pas pleurer craquer crier sans savoir pourquoi parfois, ne pas douter flipper manquer d’énergie pour nager. Ça veut dire ne pas le faire seule, et ça peut tout changer.
Je suis admirative des femmes qui font ce choix de traverser un océan à la rencontre de la suite de leur vie. Il faut une belle dose d’inconscience, la meilleure, pour décider, aveuglément, de se mettre à fabriquer en quelques mois un nouvel être humain ET sa mère. Bravo à toutes pour ça.
N’oubliez pas que vous n’êtes pas obligées de le faire seule…