Vous vous souvenez de notre doulette qui bosse dur pour lancer son activité ? Et bien, rassurez-vous, elle ne passe pas (toutes) ses journées devant son écran, elle sort aussi parfois dans la rue… Je vous raconte.
Petit à petit, elle commence à distribuer ses jolies cartes de visite et à parler de son activité autour d’elle. Évidemment, c’est plus difficile que la création d’une page facebook ou d’un site web. Là, c’est autre chose, il faut se mouiller. Pour déposer ses cartes dans son magasin bio, c’était easy. La boutique de puériculture, c’était déjà le level au-dessus. Quand elle rentre dans le magasin, décoré en rose et bleu, où on trouve des poussettes plus chères que sa voiture, elle se demande quand même si elle va pas juste dire bonjour et repartir. Mais finalement, la vendeuse prend ses cartes avec le sourire et lui pose plein de questions. En plus, elle n’a pas encore d’enfant… Ça se corse encore au moment de contacter le cabinet de sage-femmes local pour parler de ses ateliers de portage (et dire qu’elle est doula et sympa et pas une rivale et qu’elle aimerait bien faire amie-amie), elle a tourné 4 jours autour du téléphone, réorganisé toute la maison, s’est rappelé de toutes les tâches urgentissimes reportées depuis des mois, et a joué 34 dialogues imaginaires dans sa tête. Tout ça pour tomber sur une messagerie !
Elle prospecte, elle prospecte… Elle assume avec ses jolies cartes et ses flyers… Et puis il y a des fails aussi… Le plus énorme ? C’était avec une maman de l’école. Mais pas n’importe quelle maman de l’école. Vous vous souvenez de la fille la plus populaire du lycée ? Belle, bien dans sa peau, extravertie juste ce qu’il faut ? Elle est devenue maman, et c’est d’elle qu’on parle. Un jour, comme ça, dans la conversation, elle demande à notre doula-qui-s’assume si « elle ne s’ennuie pas, toute la journée à la maison”… Bam, la brochette de clichés.
1/ Si tu viens chercher tes enfants à l’école tous les midis, c’est que tu ne travailles pas, je veux dire, pas un “vrai travail” hors de la maison
2/ Si tu ne travailles pas, mais qu’est-ce que tu fiches de tes journées ?
3/ C’est vrai, quoi, le travail c’est la vie… La cuisine, le jardin, les livres, le bonheur, c’est juste les vermicelles sur le gâteau, ça nourrit pas vraiment, n’est-ce pas ?
Le pire étant bien sûr que la question avait été posée avec beaucoup de bienveillance et une réelle empathie. Parce que la nana la plus populaire est aussi hyper-sympa, mais vraiment. Pensez-vous que la doula-qui-s’assume aurait répondu, sûre d’elle : “je lance ma nouvelle activité d’accompagnement à la naissance, en ce moment je passe beaucoup de temps à prendre des contacts dans le domaine de la périnatalité, je prépare des ateliers que je mettrai en place dans les mois à venir… d’ailleurs je peux te laisser une carte de visite, si tu veux !?” ? Que nenni ! Notre doula-qui-s’assume-mais-pas-aujourd’hui a préféré bafouiller que les journées passaient vite, entre les trajets école, les repas à préparer, le ménage, un peu de rangement (ce qui est absolument vrai ! les journées passent à une vitesse folle et n’offrent pas beaucoup de répit aux fabuleuses au foyer et à toutes les autres dingues de vermicelles !). Elle a récolté un regard compatissant et a passé le reste de la journée à s’auto-flageller. Mais pourquoi, pourquoi, POURQUOI ? Pourquoi c’est si dur de dire qui tu es ? Pourtant, tu le sais bien, que t’es pas une sorcière ou une illuminée, tu le sais que le métier que tu as choisi est aussi bien qu’un autre, tu le sais que pour que la terre entière sache que les doulas existent, il faut commencer par dire que TOI tu existes, ici, dans ce village, et même là, devant cette nana qui t’impressionne un peu…
Le piège est encore plus grand si tu as un autre boulot, un boulot “alimentaire” (qui peut-être est passionnant aussi, d’ailleurs : il n’y a pas à “payer” avec un boulot ingrat le bonheur d’être doula par passion… arrêtez de vous auto-flageller, les filles, vraiment…). Bref, si tu as un autre boulot, bien classique, bien conventionnel, un boulot pour lequel on te demande pas de te justifier dès que tu le cites… Bah c’est tentant de balancer ça et d’échapper aux polémiques, non ? C’est tentant et c’est confortable et ça te prive de précieux contacts. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut absolument écrire “doula” sur la fiche de liaison famille-collège pour la rentrée en 6e de ton aîné. Ou qu’il est indispensable de te forcer à le dire en toutes circonstances. Je ne suis pas en train de dire “il faut” ; je suis en train de dire “tu peux”. “Sens-toi libre de”. Sens-toi libre de dire qui tu es à chaque fois que tu en as l’envie. Sens-toi libre d’examiner ce qui freine, quand ça freine, et de te demander “pourquoi ?”. Parfois le pourquoi sera juste et restera en place pour les 40 prochaines années. Parfois il volera en éclat à peine ton regard posé dessus. Parfois il variera avec le temps, selon les jours, ton ancrage, ton humeur. Et ce sera parfait comme ça.
Comme tous les gros gros fail, l’expérience de com’ ratée avec la mama la plus populaire du lycée a eu du bon : la doula comprend qu’elle doit utiliser le fameux bouche-à-oreilles (dans un premier temps, ce sera surtout de sa bouche à l’oreille des autres, mais chaque chose en son temps). Et là, elle se reprend dans la figure (et c’est bon) que tout le monde peut avoir besoin d’une doula. Des femmes qui ont acheté la poussette plus chère que ta voiture (finitions roses…) lui disent qu’elles auraient apprécié ce type d’accompagnement, qu’elles en parleront à leurs amies, et que peut-être, pour le deuxième… Des femmes bientôt grands-mères lui disent qu’elles comprennent à quel point c’est important, et que c’est chouette pour les jeunes mères qu’elle soit là… Des infirmières rencontrées en visitant des brasseries (ça, ça ne s’invente pas) insistent pour qu’elle leur donne un stock de cartes de visite à mettre dans leur cabinet… Pendant que d’autres personnes s’étonnent que ce soit un métier, trouvent ça bizarre, ou demandent si les personnes qui font appel à elle ont “des problèmes”. On est pas à Bisounours-ville non plus.
Bien sûr, petit à petit, ça “prend”. Une future maman la contacte, elle a vu sa carte au magasin bio. Une connaissance veut en savoir plus sur son activité, elle a vu sa carte dans la boutique de puériculture, et elle a compris que c’était elle. Une maman du village s’inscrit une tente rouge.
Mais que ça paraît long… Qu’il paraît loin, le moment où ton agenda sera rempli de rendez-vous, où tu seras sûre que chaque femme qui a besoin d’un accompagnement bienveillant trouvera tes coordonnées, où chaque mois tu déclareras des sommes à 3 chiffres pour ton activité…
Oui, c’est long, mais… Si on faisait un petit bilan ?
Tu as passé quelques demi-journées dans l’année à distribuer des cartes de visite. En retour, tu as été contactée pour 3 accompagnements (ou 8, ou 11, ou “zéro pour le moment” – le mot-clé, c’est “pour le moment”). Tu as savouré 14 échanges inattendus avec des femmes magnifiques. L’ensemble a abouti à 6 tentes rouges. Et, en tout, pas moins de 23 shoots d’ocytocine.
Tu ne mesures plus le temps passé à parler de ton activité entre deux portes (bouche-à-oreille, step 1)… Bah, non, parce que cette année, tu n’as pas mesuré non plus le temps passé à parler de la météo, ou des pieds de tes enfants qui grandissent d’un coup dès que tu leur achètes des chaussures : BRAVO, parler de ton activité de doula est devenu normal ! Si tu avais une épicerie, est-ce que ce serait si compliqué de dire aux gens que tu croises que tu es épicière ? Est-ce que ce serait un effort ? Est-ce que ce serait de la com’, ou juste un échange normal ?
Et pendant ce temps non-mesuré, non-mesurable, tu as semé des graines, pour toi, pour toutes les doulas, pour toutes les femmes.
C’est plus difficile de sortir distribuer ses cartes de visite près de chez soi que de partager des articles en terrain conquis, n’est-ce pas ? Mais parce que c’est plus flippant, c’est plus gratifiant, aussi. Parce que c’est pas gagné d’avance, chaque petit pas, chaque retour positif, chaque ouverture vaut de l’or. Et parce que c’est pas inné, c’est comme tout, ça s’apprend…